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Le voile de l’universel

La première fois que j’ai rencontré Martine Deny, c’était il y a quelques années lors d’une exposition collective à la galerie « Am Tunnel. » Tout de suite, je me suis interrogée : Comment cette frêle petite femme brune, toute en discrétion et en retenue pouvait créer des œuvres aussi puissantes, véritables fusions de l’être et du Cosmos et si belle leçon sur la détermination humaine et sa lutte perpétuelle dans l’existence ?

Les petits personnages dont Martine Deny émaille ses œuvres sont à appréhender comme nos avatars. Ils sont pris dans le tourbillon de la vie, vie pleine de chausse-trappes, d’ornières. Et pourtant, les bonhommes, courent, grimpent, glissent, tombent, se relèvent, se redressent.

Diantre, ils en ont dans les tripes, ces bipèdes hyperactifs, audacieux, intrépides et opiniâtres ! La question est de savoir où va les mener cette course effrénée ? Allégorie de l’existence, pied de nez à ceux qui veulent aller plus loin, plus vite au risque de faire trébucher les autres et de se perdre. Pourquoi pas ? La dame brune nous délivre sans doute un message incisif. Libre à nous de le déchiffrer en tant que tel.

Dans son atelier de Bridel largement ouvert sur la nature, l’artiste recrée un mini-monde, un microcosme où, au milieu d’océans de couleur, au cœur de l’atome ou de la cellule, palpite comme dans la soupe originelle, un condensé de vie. Oui, Martine Deny touche à l’universel dans ses créations.

Les dernières productions le démontrent bien en devenant des sortes de réceptacles de la mémoire collective et de l’histoire. La peintre-vidéaste y fait rimer l’intime, le privé en le mêlant à  l’image dérivée, au collage, à l’écrit. Fille, sœur, femme, mère, l’artiste joue élégamment dans ce quartette  explosif, parfois pétri de contraintes et nous divulgue beaucoup d’elle-même néanmoins toujours derrière le voile de l’universel.

 

Nathalie Becker

 

 

Martine Deny épingle les humains dans leur curieuse course à la survie tant dans le domaine de la "vie intérieure" que dans celui du "quotidien en société". Elle mêle allègrement la figuration à l'abstraction sans oublier la pratique de deux médias en opposition, à savoir, la peinture et la vidéo.
C'est une personne atypique qui tout en finesse ajuste sous nos yeux un univers saisi au vol qui se décline au rythme des supports choisis.
Florence Liotard-Schneider

 
Que sont nos corps devenus?

 

Une exposition qui interroge le monde d'aujourd'hui.. .via le corps, cible privilégiée de la modernité

et de l'utopie... Ci-dessus : une partie de l'installation de Martine Deny. (photo Georges Grima)

En marge des festivals, la Galerie Susini et l'espace Sextius proposent un corpus de six artistes, six variations sur le corps. De quoi rester pensifs...

« HABEMUS CORPUS » : une exposition qui interroge le monde d'aujourd'hui.. .via le corps, cible privilégiée de la modernité

et de l'utopie... Ci-dessus : une partie de l'installation de Martine Deny. (photo Georges Grima)

 

 

En marge des festivals,
la Galerie Susini et l'
es-
pace Sextius propo-
sent un corpus de six
artistes, six variations
sur le corps. De quoi
rester pensifs...

HABEMUS    COR-
PUS.. . Nous avons un
corps... encore faut-il
le deviner, l'imaginer, le re-
composer... au vu de l'ex-
position présentée par la ga-
lerie SUSINI à ['ESPACE
SEXTIUS. Exposition inau-
gurée au Luxembourg au
mois de mars dans les lieux
dits KULTUR FABR1K et
BEIM ENGEL (cf article pa-
ru le 7 mars dans la
Marseillaise) et dont les pho-
tographies de Georges GRI-
MA donnent un aperçu dès
l'entrée, ce qui par ailleurs
confirme l'importance du lieu
d'accueil, de l'espace et de la
mise en espace...

A Sextius, nous avons droit
à une vision épurée, presque
« squelettique », les œuvres
se dispersant dafu l'espace
sans qu'aucun dialogue, au-
cune passerelle ne parvien-
nent à s'établir, renforçant le
sentiment de froideur, de
désérotisation et de solitude
qui nous saisit dès le hall
avec les grandes toiles de
CECCARELLL. Ces grandes
flaques brunes où se devinent
des personnages anonymes,
perdus... noyés dans leur
anonymat et la couleur ex-
crémentielle qui les plaque au
mur comme on épinglerait le
sentiment désespéré et déses-
pérant de notre condition..

Un peu plus loin, le travail
de Nathalie GARRIGOU qui
a choisi de mettre en boîte sa
vision dichotomique du corps
ou plutôt de l'image du corps.
Photographe, elle a « plan-
che » sur un corps revisité. Et
les images dominatrices de
nos sociétés dites avancées,
partagées entre la vision uto-
piste d'un corps sain libéré du
mal (et de la maladie) et d'un
corps érotisé, revalorisé -
sans cesse et encore - Vision
morcelée, découpée... véri-
table puzzle.

Petits bouts de vitrines, lin-
gerie féminine, matériel pa-
ramédical...d'un côté, des
mannequins, de l'autre, une
véritable pharmacopée... le
tout donnant à voir un corps
sans essence, sans chair et
sans esprit. Juste une pointe
d'ironie et l'œil critique de
l'artiste. L'esthétique léchée
de son installation, ta légère-
té du matériau, le blanc et noir.

 

comme toujours, intensifiant
la sensation d'un corps désin-
carné . Un corps insensé, im-
matériel. Victime ou vitrine
d'une société exhibitionnis-
te.

Exhibitionniste d'un vide
qui prend « corps » à l'en-
droit même où il se réclame
du triomphe de la beauté et de
la science.

A sa manière - violente et
directe - simulatrice, Valérie
CARTIER décline, elle aus-
si, une vision caustique et in-
terrogative. La dérision et le
canular se partageant le mor-
ceau ! Montages vidéos qui
n'hésitent devant aucune mi-
se en scène de l'horreur, cel-
le qui constitue l'ordinaire
des actualités et reportages
quotidiens du 20 heures.

A y regarder de près, c'est
pourtant d'elle qu'il s'agit, ne
reculant devant aucun effet
spectaculaire, l'horrible de-
venant un morceau de choix
et de bravoure, un breuvage
visuel où tout un chacun peut
assouvir son instinct de
voyeur camivore.

Que dire alors de la série de
nombrils moulés et suspen-
dus à des fils de séchage, si-
non qu'elle renforce le senti-
ment d'un corps narcissique
et sans avenir qui ne trouve
d'écho que dans cette pre-
mière cicatrice : celle de la
naissance.

Les    sculptures    de
Sebastiano Fini font alors fi-
gure d'éternité. Isolées dans
leur solitude de faux marbre
(savon de Marseille), plom-
bées dans leur barils lestés de
graviers, drapées dans leur
aluminium    goudronné,
« sponsorisées », elles de-
viennent les figures emblé-
matiques d'un corps « in-
dustrialisé », soumis à de
nouvelles esthétiques.

Recyclage de la beauté ?

Il n'en demeure pas moins
qu'elles restent solitaires et
démunies. En proie à un ver-
tige existentiel, face à un ave-
nir aussi inaltérable qu'im-
probable.

Retour à ta peinture avec
Thierry Cauwet qui nous
offre une série de tableaux où
le corps se révèle à travers les
hésitations, les « malhabile-
tés », le repentir d'un artiste
dont la jubilation de peindre
ne se désavoue jamais.

Thierry Cauwet aime lai
peinture, interroge le corpsj
avec sans doute le même sen-'
timent d'impuissance devant
leur énigme - leur non évi-
dence et le désir qu'il a de les
saisir - de les unir dans le mê-
me espace fictif de la toile. \

 

« Aux yeux de Thierry
Cauwet, c '
est le corps hu-
main seul qui peut donner
forme et organisation au
chaos qui nous apparaî
t
d'abord. ...La démarche est
double : première phase
/
peindre,
préparation de la
surface initiale.

Deuxième phase / dé-
peindre, surgissement
des
formes, dégagement des
corps. ...Le corps humain est
ainsi un élément st
ructurant
fdmatravail... »*

Quant à Martine Deny, el-
le a choisi de montrer deux
exemplaires de son nouveau
travail ainsi qu'une installa-
tion en forme de grand miroir
reflétant une poutre suspen-
due... et le reste...tout dé-
pend du point de vue '...

^Miroir difforme et défor-
mant qui semble nous dire
combien il est vain de rédui-
re le corps à une quelconque
représentation. Corps phy-
sique, corps clinique, corps
métaphysique... comment se
reconnaître dans cet arsenal

 

d'approche de la matière par
essence humaine qu'est à
priori
le corps. Ce corps que
les scientifiques, les philo-
sophes, les psychanalystes
cherchent à apprivoiser de-
puis si longtemps... Reste
cette image du kaléidoscope,
ce sentiment merveilleux et
troublant devant une forme de
vertige, une abstraction op-
tique et géométrique. La fas-
cination immédiate qu'exer-
ce sur nous cette mutation
imperceptible de formes et de
couleurs, ce mouvement in-
cessant qui ressemble tant à
la vie^

Et l'œil de l'artiste dans
tout ça ?

L'œil saisit la lumière et
restitue la couleur. Les deux
toiles exposées, travaillées
avec une très vieille tech-
nique, « la détrempe à
l'œuf»**, nous parlent d'un
ailleurs impossible.

Petites silhouettes égarées,
aspirées par la couleur,
noyées dans le vide, l'absen-
ce de motif et de sujet.

 

A peine un rectangle.. .une
fenêtre, peut-être. Rien
d'autre que la couleur, enco-
re... La peinture est-elle la
seule destination possible
pour Martine Deny face à
cette inquiétude tenace qui la
tenaille et l'incise comme
une morsure à vif, une rupture
du sens ?

Ici et là, pourtant, une poin-
te d'ironie.

Un petit rire qui allège la
charge émotive.

Nul doute que cette expo-
sition - au-delà des esthé-
tiques et des techniques uti-
lisées   -   rejoint   une
interrogation contemporaine
qui traverse aussi bien les
arts plastiques que le théi'itre,
la danse... où l'on retrouve
sans cesse posée la question
du corps, devenu lieu « poli-
tique ?> pur excellence.

Lieu polémique ... un peu
comme si les artistes se rap-
prochaient de l'endroit même
de la passation, de la récep-
tion d'un monde qui leur
échappe.

 

Un monde qui ne peut se
résumer avec des mots, des
signes, des équations... un
monde dissous dans la mul-
tiplication exponentielle de
l'information.

De l'informe au virtuel,

Du visible à l'invisible,

De la souffrance au dé-
sir... le corps est devenu le
lieu fantasmé de la rencontre.

Le lieu du vécu et de l'in-
timité-

Le lieu de l'ingestion et de
la régurgitation.

Le lieu même de l'étran-
geté.

Le nombril d'une société
qui se regarde dans un miroir
sans tain où l'autre, nous ren-
voie à un postulat : pas de ré-
conciliation possible entre
l'intime et le collectif, seule-
ment une utopie...

Dominique LARRIEU

*Raphaiîl Munticelli (De
quelques voies d'accès à la
peinture de Thierry Cauwet)

**Mélange d'œufs, d'hui-
le et de pigments...

2 -Lundi 7 Aout2000

Justement, en refusant d’avance les voies toutes tracées et les solutions esthétiques de ce qu’on peut appeler « le prêt-à-porter »artistique, ses peintures posent les prémisses d’une attitude singulière,…….. une façon de voir et de réfléchir. (Mariana Watelet)

 

Au contraire d’une première impression d’ingénuité, la silhouette, sa réduplication comme les dissociations qu’elle ménage, reste le plus remarquable : elle donne à voir tout autant qu’elle reflète, figure la présence tout autant qu’elle l’absente, en un mot elle signifie. Choisir le médium de la peinture pour poser la question du sens et de l’intelligibilité ne manque pas de perspicacité dans un contexte où l’art contemporain, sous le couvert de l’invention, en marque une problématique déflation. Mise en abyme de silhouettes, la peinture de Martine Deny se commente elle-même et produit ainsi sa propre effigie.  (Jean Sorrente)

 

Toutes les œuvres plastiques ont besoin de nos yeux, mais celles de Martine Deny associent l’espace de notre regard à leur propre espace dans la violence d’un acte toujours en train de s’accomplir.L’artiste semble d’avantage engager une lutte avec la matière picturale plutôt que de raconter des histoires ; les histoires qu’elle veut raconter sont précisément celles des périéties intérieures de cette lutte avec la peinture

(Mireille Petitgenêt).

 

En s’affranchissant de techniques qu’elle maîtrisait avec habilité (ex : monotypes) elle prend ici le risque d’une liberté nouvelle ou elle où

La fantaisie jouxte en permanence les aléas et les accidents d’une mise en scène si ténue et si hypothétique qu’on la dirait improvisée. …………………………

Martine Deny pousse la couleur comme on repousserait un rideau, comme on pousserait une limite.

D’ailleurs certaines de ses figures semblent vouloir écarter le mystère. (Dominique Larrieu)

 

Un espace métaphysique où la figure n’a aucune essence charnelle, où  le corps désincarné, asexué devient la trace d’impalpables mouvements intérieurs.(Dominique Larrieu)

 

Justement, en refusant d’avance les voies toutes tracées et les solutions esthétiques de ce qu’on peut appeler « le prêt-à-porter »artistique, ses peintures posent les prémisses d’une attitude singulière,…….. une façon de voir et de réfléchir. (Mariana Watelet)

Au contraire d’une première impression d’ingénuité, la silhouette, sa réduplication comme les dissociations qu’elle ménage, reste le plus remarquable : elle donne à voir tout autant qu’elle reflète, figure la présence tout autant qu’elle l’absente, en un mot elle signifie. Choisir le médium de la peinture pour poser la question du sens et de l’intelligibilité ne manque pas de perspicacité dans un contexte où l’art contemporain, sous le couvert de l’invention, en marque une problématique déflation. Mise en abyme de silhouettes, la peinture de Martine Deny se commente elle-même et produit ainsi sa propre effigie.  (Jean Sorrente)

 

Toutes les œuvres plastiques ont besoin de nos yeux, mais celles de Martine Deny associent l’espace de notre regard à leur propre espace dans la violence d’un acte toujours en train de s’accomplir.L’artiste semble d’avantage engager une lutte avec la matière picturale plutôt que de raconter des histoires ; les histoires qu’elle veut raconter sont précisément celles des périéties intérieures de cette lutte avec la peinture

(Mireille Petitgenêt).

 

En s’affranchissant de techniques qu’elle maîtrisait avec habilité (ex : monotypes) elle prend ici le risque d’une liberté nouvelle ou elle où

La fantaisie jouxte en permanence les aléas et les accidents d’une mise en scène si ténue et si hypothétique qu’on la dirait improvisée. …………………………

Martine Deny pousse la couleur comme on repousserait un rideau, comme on pousserait une limite.

D’ailleurs certaines de ses figures semblent vouloir écarter le mystère. (Dominique Larrieu)

 

Un espace métaphysique où la figure n’a aucune essence charnelle, où  le corps désincarné, asexué devient la trace d’impalpables mouvements intérieurs.(Dominique Larrieu)

 

Ombres et silhouettes de Martine Deny

 par Jean Sorrente

 

On peut songer à des paysages qu’organiseraient les figures ou plus exactement les silhouettes. Peintures de paysages ou paysages de peinture que définiraient les silhouettes ramassées dans leur gestuelle, pesant, pour le coup, sur la force d’inertie du paysage. Ôter ces silhouettes et le tableau part à la dérive, les ajouter et il entre dans la signifiance, dans la représentation. Le sens surgit tout soudain dans les plages qu’elles délimitent, les segmentations et les simulacres. Elles se voient et s’entendent, cultivant l’écoute comme la pulsion scopique. Au contraire d’une première impression d’ingénuité, la silhouette, sa réduplication comme les dissociations qu’elle ménage, reste le plus remarquable : elle donne à voir tout autant qu’elle reflète, figure la présence tout autant qu’elle l’absente, en un mot elle signifie. Choisir le médium de la peinture pour poser la question du sens et de l’intelligibilité ne manque pas de perspicacité dans un contexte où l’art contemporain, sous le couvert de l’invention, en marque une problématique déflation. Mise en abyme de silhouettes, la peinture de Martine Deny se commente elle-même et produit ainsi sa propre effigie.

 

 

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